Dans un établissement comme l’Université de Tours où travaillent plus de 2.000 agents publics, la question de l’organisation du travail, des rapports hiérarchiques et de la responsabilisation des agents n’est jamais interrogée. Ce dossier est une sensibilisation à l’holacratie. Voici les principaux concepts et règles pour une « mise à jour » de notre démocratie sociale.
Clés de compréhension
- Holarchie : une organisation pensée comme un organisme vivant à part entière et pas comme une machine ou une famille paternaliste.
- Souveraineté : en holacratie, l'autorité est distribuée. On passe de la pyramide aux cercles. On casse les liens de subordination liés aux statuts. On est parfois leader, parfois suiveur.
- Réunions de gouvernance et de triage : des réunions plus efficaces qui permettent d'utiliser les tensions pour s'ajuster sans s'agiter.
Depuis plusieurs années, le Sgen-CFDT de l’Université de Tours initie un fonctionnement qui est d’organiser son collectif syndical en holacratie, l’holacratie est une nouvelle manière d’organiser les collectifs. Elle vient remplacer le management, le lien de subordination, la hiérarchie ou encore la bureaucratie.
Elle instaure ainsi des règles permettant une démocratie plus transparente, harmonieuse et responsabilisante. De culture autogestionnaire, l’équipe du Sgen-CFDT propose dans cette manière de repenser la distribution de l’autorité. En adoptant ces principes, nous nous sommes donnés comme objectif d’avancer sur les points suivants déclinés en 4 articles (et probablement d’autres à venir que nous ne soupçonnons pas encore).
De fait, un fonctionnement de type holacratique bouscule la conception pyramidale et hiérarchique d’une organisation traditionnelle. L’holacratie a été « inventé » en 2001 par un dirigeant d’une société de production de logiciel Robertson dont l’objectif était de « mettre au point des mécanismes de gouvernances plus agiles [et de tirer profit de] notre capacité à sentir les discordances de l’instant présent et à percevoir les possibilités de changement – notre perpétuel et insatiable esprit créatif qui nous pousse sans cesse à nous dépasser ».
A l’origine, il s’agit d’un outil managérial qui propose de remplacer la structure pyramidale par une organisation horizontale formée de cercles concentriques qui ont la particularité d’être auto-organisés. Dans l’holacratie : une nouvelle gouvernance tournée vers la gestion des risques publié dans Question(s) de managlement (2020/2 n°8), les auteurs abordent la question du pouvoir « qui est traditionnellement conféré aux managers est transféré aux salariés, qui agissent comme des autoentrepreneurs et sont maîtres de leur travail. Chaque cercle, fonctionnant de manière autonome, est relié à un cercle supérieur, appelé « super-cercle », qui est celui de l’entreprise dans sa globalité ».
Voilà donc une approche qui permettrait de construire d’autres rapports sociaux et qui pourrait correspondre à une attente au sein des équipes de recherche comme dans les services d’espaces collectifs. Dans un établissement où travaillent plus de 2.000 agents publics, la question de l’organisation du travail, des rapports hiérarchiques et de la responsabilisation des agents n’est jamais interrogé : entre l’individualisme et l’autoritarisme, nous pensons qu’il y a une place pour une autre forme d’organisation.
Alors on vous présente cette forme d’organisation …
Passer de la pyramide aux cercles
Passer d’une logique de contrôle vertical descendant à une logique de confiance a priori. Dans l’holarchie (des cercles imbriquées comme des cellules d’êtres vivants), l’autorité est distribuée entre rôles et chacun a toute autorité sur le périmètre qui est le sien. On dépasse ainsi la polarité manager/managé en étant parfois leader, parfois suiveur (voilà un « en même temps » qui a du sens). Et pas leader tout le temps ou exécutant tout le temps comme c’est trop souvent le cas actuellement. Ainsi, cette répartition des rôles va permettre de dépasser les écueils régulièrement rencontrés par les organisations dès qu’elles dépassent une trentaine de personnes et qu’elles créent, par habitude, des hiérarchies intermédiaires. La pérennité des projets va moins dépendre des personnes (ou bien souvent de la personne) qui les portent. La communication peut se fluidifier puisque tout le monde n’a pas à donner son avis sur tout (même si tout le monde a accès à tout). Les cadres intermédiaires sont sortis des contradictions actuelles dans lesquelles ils sont pris malgré eux.
Mettre la raison d’être au coeur du fonctionnement de l’organisation
Aujourd’hui les collectifs sont en miettes. Les succès cumulés de l’individualisme, du consumérisme et autres besoins compulsifs nous ont fait moins prendre soin de la dimension sociale de la personne, au sens du philosophe Emmanuel Mounier. Pour y répondre, l’holacratie apporte un pilotage par la raison d’être (Qu’est-ce qu’on fait là ? Quel est notre objectif commun ?) qui permet de se désengluer des jeux de pouvoir. La raison d’être du Sgen-CFDT : Faire vivre les valeurs de la CFDT dans l’éducation nationale (justice sociale par l’émancipation et la coopération). L’émancipation est pour nous une manière de voir le travail comme un lieu d’épanouissement et de formation tout au long de la vie et pas seulement comme un dur labeur. La coopération, c’est ajouter à cette idée que l’épanouissement personnel se nourrit de l’intelligence collective et vice versa. La stratégie du Sgen-CFDT pour y parvenir: construire pour ne pas subir.
Rendre les réunions plus efficaces.
En holacratie, la réunion de gouvernance et la réunion de triage sont très ritualisées pour que tout le monde puisse s’exprimer et pour qu’elles ne soient pas parasitées par des egos envahissants. Elles permettent de dissocier le travail sur l’organisation (qui fait quoi + règles de fonctionnement) et le travail dans l’organisation (actions, projets). Elles sont également basées sur des prises de décision par consentement pour éviter la recherche du consensus à tout prix (c’est à dire attendre que tout le monde soit d’accord), ce qui aboutit trop souvent au statut quo. On y pratique des réunions assez rigoureuses (on essaie en tout cas !) qui se basent sur la coopération plutôt que sur la compétition, mettant ainsi fin aux jeux de pouvoir qui n’ont plus d’intérêt. Tout le monde se met à l’écoute des besoins d’une personne dans son rôle pour l’aider à résoudre la tension qu’elle amène. Les tensions ne sont alors plus assimilées à des problèmes, des choses à mettre sous le tapis, mais comme des occasions de rebondir et d’améliorer le fonctionnement. Elles deviennent le carburant de l’organisation. Les difficultés et les situations de fragilité peuvent être mieux accueillies grâce au nouveau statut de l’erreur.
FAQ : Les questions les plus posées sur l’holacratie
Holacratie = solution miracle ? Holacratie réservée au secteur privé ? Holacratie et rémunérations ; Holacratie dans l’éducation nationale : pas demain la veille ? Holacratie et le monde extérieur : les questions qui viennent régulièrement quand on découvre l’outil.
L’holacratie constitue donc un outil qui peut permettre de « regarder le travail en face », avec nos « allant-de-soi », nos motivations d’addiction, nos arguments du type « on a toujours fait comme ça ». Il ajuste de manière continue le travail prescrit, le travail réel et le travail souhaitable (l’écart entre le travail prescrit et le travail réel étant une des sources principales de souffrance au travail, comme l’a montré Yves Clot et d’autres). Comme dans d’autres organisations qui ont fait le pas, nous espérons que l’adoption de ce fonctionnement nous amène à évoluer dans d’autres domaines comme le recrutement, l’évaluation, la formation, le développement personnel, les rémunérations et, peut-être, d’autres pages qui s’ajouteront au fur et à mesure de la pratique…
Sans processus de gouvernance précis, il est facile de critiquer les autres, de rejeter la faute sur autrui à coup de non-dits et d’hypothèses implicites ou d’éviter ces problèmes en contraignant les gens à respecter des attentes implicites, souvent par le biais de cajoleries politiques ou d’une recherche de consensus. Une fois les réunions de gouvernance mises en place, les membres de l’équipe disposent d’une tribune pour transformer la frustration générée par des attentes déçues en apprentissage collectif et progression continue. Ils bénéficient alors d’un processus plus efficace pour définir les normes communes dont a besoin toute équipe. Jouer la carte politique perd alors de son utilité et les problèmes de personnes laissent place à une discussion plus sincère à propos de la manière de faire évoluer l’organisation en fonction de ses objectifs et d’une raison d’être plus large dans le monde. Brian Robertson
Pour ne savour plus :
Richard, D., Benbrahim, Z., Chabanet, D. & Perea, C. (2020). L’holacratie : une nouvelle gouvernance tournée vers la gestion des risques ?. Question(s) de management, 28, 131-139. https://doi-org.proxy.scd.univ-tours.fr/10.3917/qdm.202.0131
Le site : https://www.holacracy.org/