Les relations toxiques empoisonnent la vie au travail, au point de la transformer pour certains salariés en véritable cauchemar. L'université n'est pas un monde à part. Par la prise de conscience comme l'accompagnement syndical, la CFDT agit.
Dans ce huis clos qu’est l’entreprise quelle soit public ou privé, les garde-fous contre le harcèlement ou l’emprise peinent à se faire une place, quand l’employeur, lui, détourne souvent le regard.
Parce que la CFDT est encore trop sollicitée pour des accompagnements ou des signalements de relations toxiques au travail à l’Université de Tours, nous publions un extrait du dossier du magazine de la CFDT du mois d’avril 2024 : lutter contre les relations toxiques car la prévention passe aussi par l’information et la prise de conscience.

Vingt ans après, le souvenir est toujours douloureux. Et les rechutes sont fréquentes. Comme si le cauchemar n’était finalement pas tout à fait terminé. « Il y a toujours cette même foutue question : pourquoi j’ai accepté cette situation ? » Tandis qu’elle parle, Dominique griffonne nerveusement sa feuille. Le signe que son « tribunal intérieur » s’active, « celui qui me fait douter de moi et où l’autodénigrement reprend le dessus », analyse-t-elle aujourd’hui.
Elle va te démolir parce qu’elle ne supporte pas qu’on lui résiste.
Lune de miel
Quoi que je fasse, il me renvoyait l’idée que je n’étais pas à la hauteur. Plus ça allait, plus il devenait méprisant et plus les mots étaient durs…
Car quand il commence à remettre en cause son travail quelques mois plus tard de manière systématique, c’est la douche froide. Dès lors, ce mécanisme de dévalorisation ne s’arrêtera plus. « Quoi que je fasse, il me renvoyait l’idée que je n’étais pas à la hauteur. Plus ça allait, plus il devenait méprisant et plus les mots étaient durs, jusqu’au jour où il m’a attaquée sur mon physique en pleine réunion. Et personne n’a moufté… »Parfois, c’est aussi la peur qui vient prendre le dessus. « Ce sont mes collègues qui m’ont alertée sur la dégradation de mon état de santé et qui m’ont soutenue, explique Dominique, l’éducatrice spécialisée. Pourtant, elles ne sont jamais intervenues en réunion pour prendre ma défense parce que, m’avouaient-elles, elles n’auraient jamais supporté de subir la même chose. »
Quels garde-fous ?
Dès qu’il est informé, par les représentants du personnel ou par des témoignages, l’employeur a en effet l’obligation juridique de traiter une situation de harcèlement, en tant que garant de la santé et de la sécurité des travailleurs. « Les entreprises qui n’agissent pas prennent de gros risques judiciaires car l’organisation du travail peut être jugée responsable du harcèlement, comme en témoigne le cas France Télécom. »
La plupart du temps, les RH bottent en touche ou finissent par bouger tout le monde pour ne pas avoir à sortir la personne qui pose problème.
Partir pour ne plus subir ?
Tania, voyant le problème bien ancré au sein de la rédaction, a préféré partir. « Mon départ a servi de déclencheur chez mes collègues qui ne se rendaient pas compte de la toxicité du personnage. Lui a fini par être déplacé dans le groupe, à un poste de simple journaliste. Après cela, j’ai eu besoin de formaliser cet épisode par écrit, avec des raisons objectives, note Tania. J’avais besoin de comprendre le processus par lequel il avait fini par me pourrir la vie. Je l’ai fait pour moi, pour savoir si je n’étais pas folle. »Quant à Dominique, la CFDT et la médecine du travail ont été ses bouées de sauvetage. En 2004, quand elle finit par s’effondrer lors d’une visite obligatoire, le médecin décide de la mettre en inaptitude temporaire. « C’était extrêmement brutal, j’avais l’impression qu’on me volait mon métier, qu’on me punissait encore plus. En fait, je crois que ce médecin m’a sauvé la vie. Car j’aurais sans doute fini par me foutre en l’air. »
Elle retrouvera finalement son poste en 2005 après un an de congé maladie. Mais les répliques du burn-out, comme des piqûres de rappel, reviennent régulièrement. « Tous les trois ou quatre ans », admet-elle.
Dans ce marasme, les organisations syndicales sont aussi le dernier rempart dès lors qu’elles sont embarquées dans l’histoire. Depuis la loi de septembre 2018, les « référents harcèlement » sont obligatoires dans les comités sociaux et économiques, permettant ainsi de remonter des informations et de rester vigilants aux signaux dysfonctionnels de comportement. L’employeur, on l’a dit, a aussi une obligation d’action. En formant ses managers à la prévention d’éventuelles dérives, mais aussi en diligentant des enquêtes menées par les RH ou des plateformes d’alerte interne.