De l’intelligence artificielle à l’intelligence collective, pensons l’avenir !

Penser la structuration de l’offre de formation, anticiper la massification de la formation continue aux outils d’IA et intégrer comme objet et outil du dialogue social, les enjeux de l'intelligence artificielle générative...

Alors que la CFDT du Maine-et-Loire en guise de poisson d’avril annonçait la création du premier syndicat dédié aux robots et aux intelligences artificielles – le syndicat, baptisé Union des Robots et Intelligences Artificielles du Maine-et-Loire (URIA 49 -CFDT), aurait pour mission de représenter les intérêts des robots et des IA dans les négociations collectives, de promouvoir leur bien-être au travail et de lutter contre les discriminations dont ils peuvent être victime – que la question de l’intelligence artificielle a été un des points à l’ordre du jour de la dernière réunion des chefs de service, que le CAPE organise une journée d’études (le 19 avril) sur l’intelligence artificielle et l’enseignement, la Commission de l’intelligence artificielle générative (CIAG) remettait au président de la République, le 13 mars 2024, un rapport contenant 25 recommandations (le rapport à télécharger ici sur le site dédié) pour faire de la France un acteur majeur de la révolution technologique de l’intelligence artificielle (IA).

Pour la CFDT, il s’agit d’un enjeu majeur et dés 2018, la CFDT interrogeait le travail avec l’intelligence artificielle et formulait 9 priorités.

A six mois des prochaines élections, un projet pour l’université de Tours ne peut avoir comme seule ambition de bien gérer les finances, d’accéder son projet autour d’une seule thématique scientifique ou de se poser la question de l’usage de la subsidiarité dans une politique d’établissement.

Un projet doit pouvoir être en capacité d’anticiper les changements structurels comme ce fut le cas pendant cette mandature (2020-2024) en réinterrogeant le sujet de la transition écologique. Aussi la question de l’intelligence artificielle et en particulier de l’intelligence artificielle générative interroge la recherche, la formation, l’accompagnement des étudiants et plus largement va transformer le travail de toutes et tous de manière profonde. Elle va indéniablement nous interroger sur le travail en question(s) et nous ne pouvons que nous réjouir de l’heureuse initiative prise par le collectif l’Université Autrement d’ouvrir des ateliers sur la question du travail.

Aussi à la lumière des analyses et réflexions de la CFDT et du rapport de la Commission sur l’Intelligence Artificielle Générative (CIAG), nous revenons sur les principaux éléments qui nécessairement à court terme impacteront notre établissement.

La CFDT, ni technophobe, ni technophile, n’est pas opposée à l’IA ; elle est déjà à l’oeuvre, mais il est indispensable de mieux la comprendre, pour l’orienter et la gouverner.

La CIAG a publié un rapport exhaustif mettant en lumière les enjeux critiques liés à l’intégration de l’intelligence artificielle dans de nombreux secteur de la société. Parmi les aspects clés du rapport, la formation et le dialogue social émergent comme des piliers essentiels pour aborder les défis et saisir les opportunités de l’ère de l’IA.

Avec l’IA générative, un changement soudain

L’intelligence artificielle est une révolution technologique incontournable. L’émergence soudaine et la diffusion de l’IA générative marquent une étape importante de cette révolution. La simplicité d’utilisation de certains outils, la rapidité de la génération du contenu, le réalisme des textes, images et sons générés, et plus généralement les aptitudes des récents modèles d’IA ont envahi en moins de deux ans notre espace professionnel.

Le rapport souligne : « Cette révolution technologique affecte tous les domaines d’activité. Elle a des effets sur l’économie, l’emploi, les services publics, l’environnement, l’information, le secteur culturel… Tous les pans de notre société sont concernés et le seront davantage à l’avenir, tant son potentiel est considérable. »

L’IA ne doit susciter ni excès de pessimisme, ni excès d’optimisme. Dans les prochaines années, l’IA ne remplacera pas l’humain, de même qu’elle ne sera pas la solution à tous les défis de notre temps. Nous ne devons ni surestimer l’impact à très court terme, ni le sous-estimer à long terme.

C’est pourquoi, nous devons relever le défi de l’IA, faute de quoi nous n’aurons pas la maîtrise de notre avenir. Pour que l’IA puisse être pleinement un facteur de progrès, il est urgent de faire nôtre certaines des grandes lignes d’actions proposés dans le rapport du CIAG.

La CIAG préconise de « lancer immédiatement un plan de sensibilisation et de formation de la nation par l’animation de débats publics en continu sur les impacts économiques et sociétaux de l’IA au plus près des lieux du quotidien, mais également de penser la structuration de l’offre de formation d’enseignement supérieur, d’anticiper la massification de la formation continue aux outils d’IA et d’intégrer comme objet et outil du dialogue social. »

Sur ce dernier point, la récente demande de la CFDT de mettre en place une méthode au sein de l’établissement pour aborder les questions de réorganisation des services s’inscrit pleinement dans cette attente de dialogue social revitalisé.

La CIAG aborde également un autre point qui est d’assumer le principe d’une « exception IA » dans la recherche publique : libération des chercheurs des contraintes administratives, revalorisation de leur rémunération, doublement des moyens de la recherche publique spécialisée en IA. Cette proposition sera indéniablement un sujet que nous retrouverons peut-être dans le projet de l’acte II de l’autonomie des Universités annoncé par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

La CIAG rappelle que « face à ces défis d’ampleur, nous ne pouvons pas reproduire les erreurs du passé. Au cours de ces deux dernières décennies, la France et l’Europe ont réagi trop tard et trop peu, avec un faible engagement dans l’innovation technologique et une réglementation tardive. Aujourd’hui, il nous revient de tirer parti de l’IA en l’installant à sa juste place : celle d’un moyen technologique au service d’une ambition d’humanité, d’égalité, de solidarité, de justice, de prospérité, de liberté. »

Elle rappelle également que cette révolution technologique devra accorder davantage de pouvoir aux citoyens et aux travailleurs et de préciser que l’innovation n’a de sens que si elle est au service du libre épanouissement de notre humanité. Autrement dit, le déploiement de l’IA doit viser un objectif d’humanisme. Elle a identifié trois piliers principaux : la formation, le dialogue social et le service public (page 7 du rapport).

Pour y parvenir, elle propose donc de lancer immédiatement un plan de sensibilisation et de formation de la nation en animant en continu des débats publics dans notre société, de susciter la création de lieux d’expérimentation et d’appropriation de la technologie (les « cafés IA »), de mettre à disposition un outil numérique d’information ou encore de lancer un concours de cas d’usages positifs de l’IA.

Elle met également l’accent sur la formation de tous et à tout âge : des jeunes dans le temps scolaire et périscolaire, des étudiants spécialisés ou non, des salariés, des indépendants et des agents publics, des retraités. La formation tout au long de la vie revêt ici une importance indéniable.

Elle propose de préparer les métiers de demain, notamment en structurant « une offre de formation d’enseignement supérieur hybride, comme « IA + biologie » et « droit + IA » », cela implique aussi de permettre l’usage de l’IA dans les métiers d’aujourd’hui, par exemple en prévoyant « un parcours de sensibilisation à l’IA pour l’ensemble des agents publics ».

Le renouveau du dialogue social devrait constituer la pierre angulaire du recours à l’IA

Le rapport insiste sur la dialogue social, pierre angulaire de l’accompagnement au changement : « à l’échelle nationale comme à l’échelle de l’entreprise, il est nécessaire de construire les usages de l’IA selon une démarche partenariale. Dans le même temps, des investissements devront être consacrés à l’analyse des impacts de l’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi. L’IA elle-même peut être mise au service du dialogue social, avec la création et le déploiement d’outils spécialisés ».

Repenser l’accueil et la qualité du service public

La question du travail et des mutations est également au cœur du rapport et il interroge la place et l’évolution des services publics. On peut y lire que « les systèmes d’IA devront être mis au profit de la qualité du service public. L’intelligence artificielle peut améliorer le service public, en contribuant à personnaliser l’éducation, à accorder plus de temps aux patients, à mieux accompagner et anticiper les transitions professionnelles, à réduire la bureaucratie » en soulignant que «de l’évolution des infrastructures numériques à la conduite de projets d’IA, la mobilisation des administrations publiques sur les enjeux tenant à l’IA doit être accélérée, amplifiée, généralisée et déclinée par service public ».

Se donner de l’ambition, c’est donner des nouvelles perspectives dans un monde en forte mutation

L’IA peut augmenter la qualité de vie au travail. Le rapport souligne que certains utilisateurs de l’IA se déclarent effectivement plus épanouis et plus performants, car ils peuvent se débarrasser de tâches routinières et améliorer la qualité de leur travail. Cependant, des risques existent (surveillance, discrimination, intensification du stress, etc…). Les conséquences de l’IA sur la qualité de vie au travail dépendront de nos choix collectifs et de la qualité du dialogue social à son égard.

Faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA.

Concernant les conditions de travail (organisations de travail, pratiques managériales, relations de travail, rémunération, santé, sécurité), le déploiement de l’IA conduira à l’émergence de nouvelles formes d’organisation et de coordination, comme les révolutions technologiques précédentes.

Le rapport rappelle les évolutions depuis deux siècles en termes d’organisation du travail : « La machine à vapeur a concentré l’industrie dans quelques usines et a conduit à rassembler un grand nombre de travailleurs sur un même lieu. Le moteur électrique a permis l’installation de nombreuses lignes et a facilité l’organisation du travail à la chaîne. Les technologies de communication ont facilité le télétravail et l’organisation de chaînes de production internationales, notamment par le biais de délocalisations d’activité ».

La CIAG évoque également les avancées de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail qui ouvrent des perspectives intéressantes en épidémiologie et en accidentologie et des possibilités nouvelles de supervision d’un environnement de travail, d’un chantier ou d’un site industriel par exemple, notamment par le recours à la maintenance prédictive.

En sens inverse, un mauvais usage des outils d’IA peut exacerber les risques professionnels et psychosociaux. Le développement du « management algorithmique » risquerait d’engendrer une perte d’autonomie au travail, une subordination déshumanisante à la machine, une surveillance excessive des travailleurs, un isolement des travailleurs et une perte du sens du collectif.

La CFDT considère l’intelligence artificielle comme un sujet majeur qui doit être abordé avec précaution. Pour garantir le respect des droits des travailleurs, prévenir les risques liés à l’automatisation des emplois et promouvoir une utilisation éthique de cette technologie, Il est nécessaire d’encadrer le déploiement de l’IA. La CFDT prône également la nécessité d’anticiper les transformations induites par l’IA sur le marché du travail et de mettre en place des mesures pour accompagner les salariés dans cette transition.

Faire de la France un pionnier de l’IA pour la planète en renforçant la transparence environnementale, la recherche dans des modèles à faible impact, et l’utilisation de l’IA au service des transitions énergétique et environnementales.

Les besoins actuels et à venir en IA nécessitent un vaste plan de formation pour tous et à tous les âges de la vie

Plus précisément, les enjeux de formation recouvrent trois besoins différents : former des personnes en mesure de concevoir et développer des solutions d’IA, former des personnes capables de déployer ces solutions d’IA au sein de leurs entreprises, et sensibiliser plus généralement l’ensemble de la population à la culture et la compréhension des grands principes de fonctionnement de l’IA. La commission propose de généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées. Au même titre que la transition écologique et sociale, l’acculturation des étudiants à l’IA dés la première année doit être très rapidement pensé. Elle chiffre cette recommandation à 1,2 milliard d’euros. A ne pas en douter, l’Université de Tours doit se préparer à répondre à ces éventuels appels à projet sur ce sujet.

Dans ce contexte, pour la CFDT, l’université de Tours pourrait jouer un rôle essentiel en mettant en place des actions concrètes pour s’adapter à ces enjeux avec un portage politique fort.

  • Formation : l’université de Tours pourrait développer des cursus spécialisés en IA, incluant des modules sur le machine learning, le traitement du langage naturel, ou encore l’éthique dans l’IA.
  • Collaboration interdisciplinaire : l’université de Tours pourrait favoriser la collaboration interdisciplinaire en encourageant les échanges entre les étudiants et chercheurs en informatique, en psychologie, en droit ou en sciences sociales pour une approche globale de l’IA prenant en compte ses répercussions sur la société.
  • Sciences et société : l’université de Tours peut organiser des événements où des experts, des chercheurs, des représentants de l’industrie et des membres de la société civile peuvent discuter des implications de l’IA sur la société et échanger des idées sur la manière de maximiser les avantages tout en atténuant les risques. L’université pourrait s’engager auprès de la communauté locale pour sensibiliser le public aux enjeux de l’IA et pour recueillir les perspectives des citoyens sur les défis et les opportunités associés à cette technologie
  • Dialogue social et service public : au sein de la formation spécialisée Sécurité, Santé et Conditions de travail, l’Université de Tours pourrait mettre en place un comité de suivi des évolutions liées à l’organisation du travail et créer un service au RH dédié à  qualité, services aux usagers et accueil des publics.
  • Un portage politique fort : comme pour la transition écologique et sociale, les enjeux comme les différentes propositions nécessitent dés lors d’avoir un pilotage fort avec une vice-présidence dédiée et transversale aux champs Formation, Recherche et RH avec un intitulé qui pourrait être : Université numérique et nouveaux usages

L’Université de Tours peut jouer un rôle de leader dans la préparation de ses étudiants et dans la promotion d’une utilisation éthique et responsable de l’IA dans la société.


Les principales recommandations du rapport du CIAG dans le domaine de la formation et du dialogue social :

  • Faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA.
  • Porter une stratégie de soutien à l’écosystème d’IA ouverte au niveau international en soutenant l’utilisation et le développement de systèmes d’IA ouverts et les capacités d’inspection et d’évaluation par des tiers.
  • Faire de la France un pionnier de l’IA pour la planète en renforçant la transparence environnementale, la recherche dans des modèles à faible impact, et l’utilisation de l’IA au service des transitions énergétique et environnementales. (Investissement projeté 100 millions d’euros)
  • Généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées. (Investissement projeté 1200 millions d’euros)
  • Investir dans la formation professionnelle continue des travailleurs et dans les dispositifs de formation autour de l’IA. (Investissement projeté 200 millions d’euros)
  • Renforcer la capacité technique et l’infrastructure du numérique public afin de définir et de passer à l’échelle une réelle transformation des services publics grâce au numérique et à l’IA, pour les agents et au service des usagers. (Investissement projeté 5500 millions d’euros)
  • Assumer le principe d’une « Exception IA » sous la forme d’une expérimentation dans la recherche publique pour en renforcer l’attractivité. (Investissement projeté 1025 millions d’euros)

Repenser le service public

(extrait du rapport page 76)

Le numérique volant au secours du service public n’est pas une figure nouvelle. Si la dématérialisation des démarches en ligne a bien progressé, la transformation numérique reste incomplète. Le déploiement de l’IA est une opportunité pour relancer cette transformation, à condition de lever les freins qui continuent d’empêcher une réelle transformation numérique du service public. Car ce sont les mêmes freins qui empêcheront de tirer parti de l’IA et de parier sur un foisonnement d’initiatives.

Le service public devrait être un des premiers bénéficiaires du numérique. De fait, du point de vue du citoyen, la dématérialisation des services publics et de leurs démarches a largement progressé ces dernières années. Plus des trois quarts des 250 procédures les plus utilisées sont dématérialisés, et 79 % des Français pensent que la dématérialisation des services publics leur simplifie la vie. Mais elle s’est accompagnée pour certains d’un sentiment de déshumanisation et d’éloignement du service public. Pour les agents publics, cette dématérialisation a des effets ambigus, notamment car ils sont encore 51 % à trouver leur environnement numérique moyen (32 %), mauvais (14 %) ou médiocre (5 %).

Trop souvent, la transformation numérique s’est arrêtée à la dématérialisation des démarches, sans transformer en profondeur la circulation de l’information, ou le traitement des demandes.

Les promesses de personnalisation (et donc d’humanisation) du service public, de rapidité de traitement, de simplification du travail des agents n’ont pas été tenues. Les démarches à réaliser à la naissance d’un enfant sont nombreuses et complexes, et il reste frustrant de devoir apporter à chaque service public les pièces justifiant qu’un enfant est né, et qu’il est bien le vôtre. Certes, des initiatives prometteuses sont en cours (« Dites-le nous une fois », « administration proactive », etc.), mais la frustration est d’autant plus grande qu’en comparaison nos vies numériques sont de plus en plus intégrées.

L’IA est l’occasion pour les services publics d’aller plus loin dans leur transformation. Elle promet en effet de personnaliser le service public, de le rendre plus efficient, et l’IA générative promet de fluidifier la communication avec les utilisateurs.