La disparition de Robert Badinter a un écho particulier pour l’Université de Tours

Peu de personnes connaissent cette histoire qui a mobilisé pendant des années, des universitaires et plus précisément des historiens, Bernard Chevalier et Christiane Deluz, tous deux historiens médiévistes et militants à la CFDT.

Il s’agit ici d’une double histoire : celle de la lutte pour l’abolition de la peine de mort et du dernier condamné à mort mais celle aussi de ces universitaires qui se sont engagés.

C’est donc l’histoire de Philippe Maurice condamné à mort par la cour d’assises de Paris le 28 octobre 1980 pour complicité de meurtre et meurtre sur agents de la force publique et qui sera gracié, le 25 mai 1981, par le nouveau président de la République, François Mitterrand, quatre jours après son investiture, et commue sa condamnation à mort en une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. Le nouveau président respecte ainsi une promesse symbolique de sa campagne électorale.

Entretemps, dès le 11 mai 1981, le lendemain de l’élection de François Mitterrand, Philippe Maurice reçoit la visite de Robert Badinter. « Vous allez être gracié, l’abolition de la peine de mort est imminente. D’une certaine manière, vous allez symboliser désormais l’abolition elle-même… »1. Il l’invite à reprendre ses études en prison. Sa cause est plaidée par sa mère, qui menace de s’immoler devant l’Élysée après l’échec du pourvoi en cassation, et plusieurs historiens, dont Jacques Le Goff.
Philippe Maurcie fut donc le dernier condamné à mort.

Incarcéré à la prison de Saint-Maur à Châteauroux, ce sont les historiens de l’Université de Tours qui pendant près de 10 ans suivront le cursus universitaire de Philippe Maurice.
Il se remet aux études en prison, commençant par l’équivalence du baccalauréat (examen d’entrée à l’université).

Christiane Deluz encadre les études d’histoire de premier cycle de Philippe Maurice. Pour ce dernier, cette rencontre est déterminante dans son choix de se consacrer à l’histoire médiévale. Avec son collègue Bernard Chevalier (médiéviste reconnu et président de l’Université de Tours de 1973 à 1976), elle dirige ensuite le mémoire de maîtrise, soutenu en 1988 et obtenu avec mention, puis le DEA et la thèse d’histoire médiévale de Philippe Maurice. Pour suivre le travail de leur élève, ils se déplacent en prison. Ils organisent la soutenance de la thèse d’histoire de Philippe Maurice à l’université de Tours au cinquième étage de la bibliothèque universitaire en 1995.
En décembre 1995 qu’il soutient une thèse de doctorat en histoire médiévale, dirigée par Bernard Chevalier et Christiane Deluz, à l’université François-Rabelais de Tours portant sur « La famille au Gévaudan à la fin du Moyen Âge ».

C’est sa première sortie de prison sans menottes depuis 16 ans, trois gendarmes et trois fonctionnaires de la pénitentiaire sont chargés de l’observer lors de la soutenance. La thèse recueille les félicitations unanimes du jury et la mention « très honorable »1.
À l’automne 1999, il est placé en régime de semi-liberté. Puis le 8 mars 2000, il bénéficie d’une libération conditionnelle. La communauté scientifique de l’université de Tours lui trouve un poste d’assistant de recherche. Il débute également bénévolement le travail sur un volume des Fasti Ecclesiae Gallicanae, recherche sur l’Église de France au Moyen Âge.
Chargé de recherche, il travaille à l’EHESS dans les domaines de la famille, de la religion et du pouvoir au Moyen Âge. Philippe Maurice est ainsi revenu en 2021 dans le cadre d’un colloque organisée à la Faculté de Droit pour les quarante ans de l’abolition de la peine de Mort.

Mais cette histoire ne fut possible que grâce à l’action d’un homme illustre honoré par la Nation, Rober Badinter.

Avocat, écrivain, garde des Sceaux, Président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter n’a jamais dévié de ses premiers engagements pour que la France continue de porter la promesse des Lumières et l’idéal républicain de Condorcet. Si la justice ne tue plus aujourd’hui en France, nous le devons à une lignée de femmes et d’hommes qui en firent un combat moral et politique. Robert Badinter incarna ce combat jusqu’à la victoire, en faisant adopter l’abolition de la peine de mort par le Parlement.
Ministre de la Justice, Garde des Sceaux en 1981 dans le gouvernement de Pierre Mauroy, Robert Badinter incarna immédiatement un autre combat, pour l’égalité et la liberté. C’est lui qui, comme ministre, consacra une autre promesse de François Mitterrand, celle de dépénaliser l’homosexualité. En portant ce combat essentiel, Robert Badinter agrandissait la République, il poursuivait la pleine réalisation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

En 2021, le père de l’abolition de la peine de mort en France, revenait dans le mensuel de la CFDT  sur la situation sociale de notre pays et alertait sur les menaces qui pèsent sur son équilibre.  Une interview toujours d’actualité à relire…

De l’histoire à la mémoire ….

A la lecture de ce récit, de cette histoire de l’Université de Tours au travers l’engagement d’universitaires de l’Université de Tours, faut-il dédier un bâtiment de la faculté de Droit à Robert Badinter et dénommer cette salle illustre (la 5e BU) qui a vu soutenir tant de thèses dans le bâtiment de la bibliothèque universitaire de Lettres, Langues, arts et sciences humaines des noms de Bernard Chevalier et de Christiane Deluz ?

Il ne s’agit pas ici de rentrer dans un débat souvent vif chez les historiens entre l’histoire et la mémoire mais de reconnaître des engagements humanistes et universalistes.

  1. Gilles Debernardi, « Maurice, la tête sur les épaules », Le Dauphiné libéré,‎  (lire en ligne [archive], consulté le )