Histoire d’un mouvement

Quatre mois d’une mobilisation exemplaire dans un cadre unitaire, un syndicalisme structurant le débat public, force de propositions et en capacité de trouver des perspectives a répondu à un pouvoir hautain et déconnecté qui bafouait la démocratie sociale et politique.

Quatre mois de mouvement social, on vous en parle sans démagogie !

Alors oui, malgré la défaite institutionnelle, le syndicalisme français et en premier la CFDT en sort renforcé obligeant le gouvernement à revoir son logiciel du dialogue social.

La prochaine étape est bien sûr le 6 juin. Le Sgen-CFDT appelle l’ensemble de la communauté universitaire à participer au cadre unitaire du 6 juin prochain pour soutenir la proposition de loi déposée par le groupe parlementaire LIOT proposant l’abrogation de l’âge de départ à la retraire à 64 ans et appelle les organisations syndicales de l’Université de Tours à poursuivre la construction d’une démarche unitaire.

Fortement impliqués à tous les niveaux dans la construction d’une démarche unitaire, nous pouvons cependant porter un regard critique sur les modalités d’actions d’une mobilisation étudiante qui a concentré une partie de son activité militante sur le blocage des sites des Tanneurs, site Fromont et  Clouet (département de musique).

Tanneurs : six semaines de fermeture et une réouverture dans le calme

Pendant six semaines, un des sites principaux de l’Université de Tours accueillant 8.000 étudiants a été bloqué avec comme conséquence la suspension des activités scientifiques, pédagogiques, administratives et culturelles. Devant cette situation, la direction de l’Université a maintenu un dialogue constant et apaisé avec les étudiants mobilisés. Suscitant un débat au conseil d’administration de l’Université, aucun élu ne s’est avisé à donner des conseils de gestion de crise.

Cœur de la contestation étudiante, le site des Tanneurs a été rythmé par des assemblées générales étudiantes oscillant entre 200 et 450 étudiants votant d’AG en AG, le blocage du site des Tanneurs depuis le 16 mars, du Fromont puis du site Clouet.

Si certains donnent une image idéale de la tenue des assemblées générales, elles le furent dans la majorité des cas mais il ne faut pas passer sous silence des fouilles d’étudiantes déplacées, dénoncées en tant telles par Solidaire étudiant.e impliquant un dépôt de main courante ou d’une plainte dans une Gendarmerie ou encore les tentatives d’exclure ou de réduire la place des syndicats étudiants, de contester leur légitimité au nom d’une pureté révolutionnaire autogestionnaire !

Le Sgen-CFDT a toujours été clair sur ce sujet. Dès le 20 mars, la section syndicale s’exprimait pour proposer d’autres formes de mobilisation qui permettent entre autres le maintien des activités culturelles, l’accès aux bibliothèques comme aux activités des associations caritatives. Ces propositions portées en particulier par l’Agate, l’association des étudiants de Tours affiliée à la FAGE furent systématiquement rejetées par les assemblées générales.

La culture sacrifiée

De fait, de nombreuses manifestations culturelles furent annulées ruinant plusieurs mois ou semaines de travail des acteurs culturels et des étudiants. De même, les équipes pédagogiques ont pour beaucoup été dépitées de ne pas avoir pu revoir en particulier les étudiants de L3 avant leur possible départ de l’Université de Tours pour d’autres universités.

Une réouverture actée par les positions des conseils d’UFR

Alors que le site était bloqué et des modalités de la communication institutionnelle pas toujours très simples dans un environnement social tendu, nous reprenons le fil chronologique de cette mobilisation étudiante qui est apparu au fil des semaines en décaler avec la mobilisation sociale choisissant pour une minorité d’entre eux une autre conflictualité posant la question de la place de l’Université en tant que telle dans le mouvement social et d’un décalage grandissant entre une partie des étudiants mobilisés et la communauté universitaire sur le fonctionnement de l’université comme de sa finalité même, l’université devenant l’instrument de l’Etat que l’on doit donc mettre à genou, à défaut d’abattre.

Cette radicalité exprimée à Tours, le fut dans d’autres universités entraînant par exemple à l’Université de Toulouse Jean Jaurès une opposition très dure entre  différents courants étudiants.

Le 6 mars, le conseil d’administration prenait une position à l’unanimité en tenant à affirmer sa préoccupation face au projet de réforme des retraites actuellement en cours de lecture au Sénat et soutient les mobilisations qui, depuis le 19 janvier, témoignent du très fort rejet de cette réforme par la population et s’associe aux demandes de retrait de cette réforme.

Dès le 27 mars, le conseil d’UFR d’Arts et Sciences Humaines exprimait son soutien au mouvement social sans pour autant soutenir le blocage : « Le conseil d’UFR Arts et Sciences Humaines renouvelle son soutien au mouvement social en cours contre la réforme des retraites. Le conseil invite l’ensemble des personnels et des étudiant.es de l’UFR à prendre part à la mobilisation selon les modalités qu’ils et elles jugent les plus pertinentes et s’engage à mettre en œuvre des modalités d’organisation du travail pédagogique, scientifique et administratif ne pénalisant aucun membre de la communauté universitaire ».

Cette motion si elle appelait à la mobilisation contre la réforme des retraites, ne soutenait le mode d’action choisie, le blocage des sites universitaires. Par ailleurs, les étudiants élus, qui au nombre de huit furent favorables à cette motion viendront de fait modifier la perception et la réalité de l’opinion exprimée par ce conseil, les élus enseignants et personnels administratifs ne furent que 11 sur 20 à adopter cette motion. Dés le 27 mars, la communauté universitaire était divisée sur l’option de cette radicalité.

Le 12 avril, une motion du conseil d’UFR de Lettres et Langues adoptée par 21 voix et 5 abstentions allait entrainer les conditions d’une réouverture du site des Tanneurs, réouverture rendue également possible par le souhait d’une partie des étudiants mobilisés de sortir du blocage des sites. Les dernières assemblées générales rassemblaient moins de 120 étudiants sur le site des Tanneurs et une vingtaine sur le site Clouet.

En votant une motion qui précisait qu’« au regard du travail déjà effectué par l’ensemble des membres du personnel, le Conseil de Faculté décide de maintenir l’ensemble des examens et évaluations des semaines de mai tels qu’ils sont prévus à ce jour. En cas de poursuite du blocage, les examens et évaluations prévus sur les sites des Tanneurs et de Fromont ne pourront avoir lieu », le conseil d’UFR de Lettres et Langues signifiait explicitement la nécessité d’une réouverture du site des Tanneurs quand l’UFR Arts et sciences humaines choisissait l’option d’une délocalisation des examens actée lors d’une réunion des responsables pédagogiques, le 21 avril 2023 avec l’équipe présidentielle.

Le 18 avril, la présidence recevait les personnels Biatss des deux composantes. Près de cinquante collègues exprimaient leur désarroi, leur environnement de travail dégradé, la perte de sens et de relations sociales tout en étant en première ligne derrière leur écran pour répondre aux sollicitations des étudiants qui réclament relevés de note, conventions de stage, diplômes ou attestation de réussite tout en participant activement aux journées de mobilisation intersyndicale. Les risques psycho-sociaux étaient réels : pression des mails, pression des étudiants qui attendent des réponses, défaut de moyens et télétravail subi.

Parallèlement, la présidence recevait les représentants étudiants, toujours le 18 avril et formulait des propositions pour permettre une réouverture du site. L’entrevue fut caricaturée par les délégués étudiants et les propositions non soumises au débat de l’assemblée générale des étudiants.

Le 20 avril, le Sgen-CFDT rappelait que la situation de blocage n’a pas ou peu d’impacts sur la mobilisation mais que nombre d’étudiants, des personnels administratifs et scientifiques, des enseignants-chercheurs pâtissent de cette situation qui génère stress, angoisse mais aussi incompréhension.

La question de la légitimité démocratique ….

Le 20 avril encore, l’Assemblée des étudiants votait la suspension du blocage pendant la pause pédagogique et une nouvelle assemblée le 2 mai. Le 2 mai, moins de 80 étudiants décidaient de bloquer le site des Tanneurs, le 3 mai allant à l’encontre des décisions des conseils d’UFR sur l’organisation des évaluations. Ils furent au final une vingtaine à déposer plus de 50 conteneurs et palettes.

Face à un dialogue rompu avec une délégation qui ne souhaitait rien négocier et une communauté universitaire s’interrogeant sur la finalité du semestre, la direction de l’établissement actait donc une réouverture du site des Tanneurs pour le 2 mai et la mise en place d’un contrôle des cartes d’étudiants et professionnels. Une telle décision n’est jamais facile à prendre mais elle a permis d’empêcher des tensions. elle a été prise en responsabilité après une large concertation. Certains s’étonnent qu’il n’y  ait pas eu de décision formelle actée par un conseil, ce même étonnement  aurait pu se produire, dés la décision du blocage des sites. La question de la légitimité démocratique, conseil ou organisation d’un vote vs les AG est un débat aussi ancien que celui des mobilisations étudiantes.

Des milliers d’étudiants se présentaient sur le site des Tanneurs comme sur les autres sites délocalisés pour passer leurs examens et retrouver une vie étudiante, 23 enseignants selon une de leur porte-parole contestait les délocalisations et la réouverture du site des Tanneurs et préconisaient l’obtention du semestre avec un 10/20 améliorable qui est la forme ultime de la marchandisation de l’Enseignement supérieur où il est question de négocier son évaluation, son semestre.

En somme, il ne fallait pas délocaliser les examens, les organiser sur le site des Tanneurs et en même temps demander au Saint-Esprit, l’enlèvement des palettes et poubelles et s’assurer que les étudiants bloqueurs fassent des bisous aux étudiants passant leurs examens …..

Pour autant, la réouverture du site des Tanneurs marque-t-elle la fin du mouvement social contre la réforme des retraites ? comme nous avons  pu le lire dans l’expression  d’une autre organisation syndicale.

Dire cela est une injure aux nombreux collègues du Plat d’Etat, de Grandmont, de l’IUT, de Médecine qui ont participé massivement aux manifestations sans avoir leur site bloqué répondant ainsi à l’appel de l’intersyndical. Il en fut de même des enseignants et personnels des Tanneurs largement plus mobilisés avant le blocage du site des Tanneurs.

Le Sgen-CFDT a une position constante sur ce sujet. Le blocage des sites universitaires n’a pas de sens sauf s’il n’y a pas une mobilisation massive, il a d’autant moins de sens  car ce type de blocage n’a eu aucun incidence économique en dehors de fragiliser les étudiants les plus en difficulté socialement et scolairement.

L’action syndicale doit apprécier le rapport de force mais aussi les préoccupations de l’ensemble de la communauté universitaire et la défense d’une université démocratique, ouverte et solidaire. C’est le sens de l’engagement des militantes et militants du Sgen-CFDT.