L’atelier juridique : deux jurisprudences liées au recrutement des EC

Alors que les procédures de recrutement des enseignants-chercheurs vont débuter au mois d’avril, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche publie dans la lettre d’information juridique du mois de janvier 2024 deux jurisprudences.

La première concerne le déroulement d’un comité de sélection et l’absence injustifiée d’un membre au moment des auditions et du rôle du conseil académique dans son obligation de motiver un avis défavorable. La seconde traite de l’impartialité du jury (en l’occurrence de sa partialité).

 

Déroulement d’un comité de sélection, unicité et rôle du conseil académique (Conseil d’Etat 461026 – 13 octobre 2023)

De manière générale, le Conseil d’Etat a précisé dans son jugement la notion d’unicité du jury s’agissant du comité de sélection institué en vue des concours de recrutement des enseignants-chercheurs. Ainsi, l’un des sept membres du comité de sélection, qui avait siégé lors de la délibération établissant la liste des candidats retenus pour une audition, était absent lors de la délibération arrêtant la liste des candidats retenus pour le poste et justifiait son absence par l’obligation de participer à un autre comité de sélection.

Le Conseil d’État a rappelé que l’absence, sans motif légitime, d’un membre du comité de sélection ayant participé à la délibération par laquelle ce comité dresse la liste des candidats qu’il souhaite entendre de la suite de la procédure par laquelle le comité de sélection procède à l’audition des candidats et arrête la liste, classée par ordre de préférence, des candidats qu’il retient, entache d’irrégularité une telle procédure.

Par conséquent, si aucun principe n’impose que, lorsqu’il se prononce sur les mérites des candidats pour choisir, ou non, de les entendre, le comité de sélection statue dans une composition identique pour tous les, la présence des membres du comité de sélection à toutes les phases du recrutement pour lequel il a été institué est obligatoire sauf « motif légitime d’absence ». La participation à un autre comité de sélection n’a pas été ici considéré comme un motif légitime d’absence.

Dans le même jugement, le Conseil d’Etat a également rappelé la jurisprudence sur plusieurs autres points :

Lorsque le conseil académique émet un avis défavorable sur la liste de candidats proposée par le comité de sélection, celui-ci doit être motivé.

Lorsque que le conseil académique, s’il relève l’existence d’une irrégularité de nature à entacher la délibération par laquelle le comité de sélection arrête la liste est compétent pour interrompre une procédure de recrutement (cf. C.E., 8 décembre 2021, n° 436191, aux tables du Recueil Lebon).

Si le Conseil académique émet un avis défavorable sur une procédure de recrutement, le conseil d’administration n’étant saisi d’aucune liste, il est incompétent pour rendre un avis sur le recrutement en question.

Impartialité et le cumul de liens professionnels (Conseil d’Etat n°459205 13 octobre 2023)

La seconde jurisprudence aborde le principe d’impartialité et le cumul de liens professionnels entre un membre du jury et un candidat

Une délibération par laquelle le conseil d’administration d’une université avait approuvé le classement des candidats proposé par le comité de sélection à un concours de recrutement pour un emploi de professeur des universités.

Il a été jugé qu’ »au stade de l’établissement de la liste des candidats qu’il souhaite entendre, le comité de sélection se prononce comme un jury d’examen alors qu’après audition des candidats retenus, il se prononce, comme jury de concours, par un avis motivé unique sur l’ensemble des candidats ».

Cette distinction n’est pas neutre puisqu’elle fait peser sur les membres du comité de sélection, suivant que ce dernier intervient en qualité de jury d’examen ou de concours, des obligations différentes au regard du principe d’impartialité, son respect exigeant, dans le premier cas, que « lorsqu’un membre du jury a, avec l’un des candidats, des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit s’abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat » alors que dans le second cas, il impose que « lorsqu’un membre du jury d’un concours a, avec l’un des candidats, des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s’abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat, mais encore concernant l’ensemble des candidats au concours ».

Pour considérer, en l’espèce, que le principe d’impartialité avait été méconnu, le Conseil d’État, après avoir rappelé les termes de sa jurisprudence du 17 octobre 2016 a relevé que si le membre du comité de sélection s’était abstenu de prendre part aux interrogations et délibérations concernant un candidat avec lequel il entretenait des liens professionnels étroits, il avait, en revanche, pris part aux interrogations des autres candidats ainsi qu’aux délibérations les concernant, alors qu’il aurait dû s’en abstenir dès lors que le comité de sélection intervenait en qualité de jury de concours au stade de l’audition des candidats.

L’apport majeur de cette décision du Conseil d’État du 13 octobre 2023 réside dans la méthode que celui-ci a retenu pour apprécier l’intensité des liens professionnels unissant le membre du jury et le candidat en cause, et juger que ces liens étaient de nature à influer sur l’appréciation de ce membre du jury.

En l’espèce, le candidat nommé sur le poste était rattaché, au moment du dépôt de sa candidature, à un laboratoire d’informatique de l’université dont l’un des membres du comité de sélection était le directeur. Ce même membre avait encadré les travaux de sa thèse en 2010, participé au jury de son habilitation à diriger des recherches en 2020 et publié, au cours des années ayant précédé son recrutement litigieux, des travaux scientifiques en collaboration avec lui.

Le cumul de plusieurs éléments qui, pris isolément, ne caractériseraient pas une atteinte au principe d’impartialité peut donc exiger d’un membre d’un comité de sélection qu’il se déporte et ne prenne pas part aux auditions des candidats ni aux délibérations du jury du concours de recrutement.

Le cumul des différents éléments était d’autant plus susceptible de porter atteinte au principe d’impartialité que ne pouvaient être convoqués la nature hautement spécialisée du recrutement ni le faible nombre de spécialistes de la discipline aptes à participer au comité de sélection, qui sont également pris en considération pour apprécier l’intensité des liens faisant obstacle à la participation d’un membre du jury à un comité de sélection et qui, s’ils sont avérés, pourront justifier, le cas échéant, une plus grande indulgence du juge.

Et donc à la fin de votre lecture, vous vous dites : « mais oui, c’est bien sûr, j’adhère au Sgen-CFDT !