Dans beaucoup de lycées de notre Académie, les E3C ont été assez peu perturbées, avec des enseignants bien investis dans les sujets et dans l'accompagnement des élèves, et avec des équipes de direction efficaces, très fortement sollicitées. Mais ça n'a pas été le cas partout !
Nous avons interrogé nos adhérent·e·s exerçant sur 41 des 50 lycées de l’académie puis concaténé leurs réponses à notre enquête entre le 22 janvier et le 2 février. Grand merci à celles et ceux qui nous ont répondu ! Leurs réponses ne couvrent pas tous les lycées mais sont significatives d’un vécu et d’un état d’esprit.
Les E3C désapprouvées avant les épreuves
Dans beaucoup de lycées, très peu voire pas de perturbation de la part des profs ou de l’extérieur. On nous signale même des enseignants bien investis dans les sujets et qui ont accompagné au mieux les élèves, ont examiné les modalités de distribution des copies et fait des propositions de correction. Et si des E3C se sont passées aussi bien que possible, c’est grâce à l’efficacité des équipes de direction.
Mais cela ne s’est pas aussi bien passé partout !
E3C : ineptes, ridicules et totalement inutiles
Ce sont les qualificatifs qui viennent à l’esprit d’une majorité de collègues. Les E3C sont jugées trop précipitées, trop tôt, avec trop d’amateurisme. Elles créent tension et fatigue, chez les profs et les élèves, et n’ont que peu de lisibilité pour les parents. Une majorité de collègues râle beaucoup mais ne veut pas de boycott. Dans certains lycées, il n’y a aucun collectif, le Snes s’est contenté de faire passer sa pétition mais il a pu y avoir des psychodrames, cris et pleurs en salle des profs (collègues refusant d’y être associés)… Tout le monde est à cran.
Il faut « arrêter cette ineptie anxiogène autant pour les élèves et professeurs » au profit d’un contrôle continu.
Des collègues veulent réfléchir à un courrier synthétisant toutes les critiques, qui sera envoyé à leurs inspecteurs respectifs, au Rectorat et aux services du ministre.
S’expriment de multiples plaintes contre la réforme en général, de la grogne, de l’inquiétude face aux conditions de correction imposées (pas de formation pour le logiciel, délai très court, pas d’information sur la paye, pas de décharge pour corriger les copies, pas de journée banalisée, des grilles d’évaluation modifiées). S’ajoutent à ces difficultés l’ouverture tardive de la banque de données (avec peu de sujet 0, des difficultés pour télécharger les sujets possibles, pour trouver des sujets adaptés aux progressions et au niveau des élèves (trop difficile en STMG), du bachotage et du stress pour tout le monde.
De multiples actions de protestations
La mobilisation s’est exprimée sous diverses formes :
- HIS demandées par des sections syndicales, de motions votées en CA, communiqués de presse, distributions de tracts, appels à la grève des surveillances.
- Délégations de profs demandant à être libérés de cours pour avoir au moins une heure de concertation entre collègues au moment de la correction des copies, en plus des deux déjà accordées.
- Discussions au sujet des commentaires à mettre sur les copies, plusieurs refusent (longueur et crainte des contestations).
- Débats sur les grèves moralement et financièrement usantes pour les collègues, qui se demandent si ce sera utile, puisque certains proviseurs prévoient jusqu’à des retraités en renfort ; on pense à d’autres formes d’action (ex : noter entre 15 et 20).
- Les attitudes des profs quant au choix des sujets et à la manière de noter sont très variables.
- AG de quelques profs qui ont décidé de ne pas assurer les surveillances et de se mettre en grève. Mais la direction a trouvé d’autres surveillants.
Dans certains lycées, il n’y a jamais eu autant de grévistes « car on s’attaque au bac »
Actions plus spectaculaires
On a vu des tentatives de blocages du lycée, ou de simples rassemblements. Ainsi, à Joué-lès-Tours, il a fallu 2 cars de policiers (une dizaine au moins de policiers) pour faire entrer deux retraités venus assurer des surveillances. Vendredi 24 janvier, un groupe de profs orléanais est allé dresser un mur de protestations devant les grilles du rectorat.
Le plus fun : lundi 3 février à Orléans les profs de Benjamin Franklin dansent en tutu devant les caméras pour les réseaux sociaux, manière de protester à la fois contre la baisse de leur DHG et contre les E3C qui les ont fortement mobilisés.
Une implication des lycéens très variable
Certains nous disent que ces perturbations ne stressent pas les élèves, des classes ont même applaudi quand des profs grévistes leur ont expliqué leur démarche.
Mais il est arrivé que des lycéens soient manipulés par les profs ou par les proviseurs. Dans un lycée, une vingtaine d’élèves n’a pas présenté l’épreuve d’anglais, les élèves de première ont organisé un sit-in dans le hall. Finalement, la proviseure a mis la pression : “ Les absents, vous aurez zéro ”. Beaucoup ont pris peur. Une quarantaine d’élèves sont allés passer leur épreuve. Ils déplorent : « Faire passer des examens à des élèves en pleurs, en état de stress, ce n’est pas normal du tout ! ».
Des difficultés pendant les épreuves
1/ Les sujets et les consignes à gérer
- Complication des annexes à rendre à part (Histoire)
- Sujets de mathématiques avec les blocs de programme donnés mi-octobre sur des pans trop vastes du programme, et les sujets finalisés (normalisation de la présentation pour tous les sujets) bouclés in extremis.
- Sujet avec deux parties, sans et avec calculatrice, pour du contrôle continu, c’est lourd. Et « coton » pour le démarrage : ramassage des calculatrices, étiquetage de ces dernières puis mise en carton en mode examen (par les élèves) avant restitution de celles- ci pour la deuxième partie de l’épreuve … Des profs de maths se sont dévoués pour épauler les collègues de surveillance, en passant de salle en salle pour gérer la mise au mode examen de la calculatrice (ça n’a pas été très facile !) résence d’un IPR de maths qui a mis la main à la patte dans une salle d’examen => nécessité de mettre en place un protocole facilement applicable par tous les profs !
- La feuille d’émargement à faire signer pour chaque élève et la vérification de l’identité du candidat avec sa convocation. « Des surveillants sont venus prêter main forte car à 4 on était dans le jus » … P
- Le sujet retenu pour le 22 janvier s’est avéré être le même que celui du lycée voisin où l’épreuve a été passée le 20 et que certains élèves s’étaient procurés.
2/ De gros problèmes de surveillance
Des profs qui devaient surveiller une heure de plus que leur service habituel, sans être payés ont refusé et la proviseure-adjointe a dû tout revoir en mobilisant d’autres agents (dans les services administratifs).
La consigne ministérielle stipulait que les calculatrices devaient être mises en mode examen devant les surveillants. Autant dire que cette consigne n’a pas été suivie, la majorité des surveillants (profs de lettres ou de langues) étant bien incapables de vérifier quoi que ce soit.
Des groupes de remplaçant constitués de retraités de l’Education Nationale étaient en attente dans la salle des profs mais ils n’ont pas tous été employés. Certains auraient eu du Rectorat la promesse d’une rémunération de 40 à 50 € pour la matinée.
Les surveillants retraités (mais aussi des assistants d’éducation, des « dames de la cantine » et « un ancien magasinier en supermarché ») ne maîtrisaient pas les consignes, ne connaissaient ni les modalités des épreuves, ni le public pas toujours facile, et ne savaient pas pour certains se servir d’une clé USB (les agents lycée ont dû les aider)… pour les épreuves de langues qui sont particulières.
Un retraité de 83 ans a fait une chute en allant surveiller une épreuve le mardi matin. Les pompiers ont dû intervenir.
3/ Plusieurs dysfonctionnements et irrégularités
Les E3C se sont déroulées dans des conditions parfois grand-guignolesques !
En effet, à 35 élèves par salle, avec des surveillant·e·s qui ne comprenaient pas les consignes de passation, des candidat·e·s ont eu un temps trop court pour composer, des sujets ont été remis tardivement, il y a eu beaucoup de fraudes, d’irrégularités, d’usage assez généralisé du téléphone portable, de problèmes d’équité d’une salle à l’autre, des difficultés pour les surveillances (trousses tolérées, téléphones théoriquement éteints, l’impossibilité pour les surveillant·e·s de s’assurer que les calculatrices ne sont pas connectées…)..
Les conditions de passage des épreuves ont laissé à désirer, on a fait passer des épreuves pendant que d’autres élèves étaient en cours, sortaient des couloirs, faisaient du bruit dans la salle voisine… Les salles d’examen n’avaient pas d’étiquette sur les tables donc il y avait placement libre. Des élèves composaient pour la même épreuve côte à côte (pas d’espace entre les élèves pour certaines épreuves et pas assez de salles pour les écarter davantage. Certaines épreuves (en particularité en Hist.-Géo) ont été organisées avec deux candidats par tables donc – de l’aveu des élèves – avec de gros pourcentage de triche !!!!!
On a vu des épreuves de langue perturbées par des haut-parleurs qui ne fonctionnaient pas, des profs surveillants mal informés et n’utilisant pas la vidéo : il faut refaire passer les épreuves
Report des épreuves initialement prévues vendredi 24 janvier, d’une part à cause des professeurs qui risquaient d’être en grève, d’autre part à cause des problèmes liés aux transports des élèves
Après les épreuves, des appréciations contrastées
La numérisation a été enchainée parfois sans difficultés majeures.
Mais il faut un temps de prise en main pour que le système soit rapide et efficace et surtout prévenir les élèves sur l’importance de bien remplir l’entête qui permettra une action encore plus efficiente (encre, majuscule non accentuées, pas de rajout de case pour des lettres pas de débordement des cases …). Des paquets de copies entre 55 et 75 feuilles A3 recto verso, le temps de traitement d’un lot est de 5 à 6 minutes. La reconnaissance pour anonymisation est très efficiente ; la distribution des copies est très simple, tout en laissant la possibilité de moduler le nombre de copies par correcteurs. Après bien des déboires sur les applications de l’EN, cette fois nous ne pouvons que les féliciter sur la qualité du produit.
Mais il faut du temps pour prendre en main ces numérisations…
être au calme, et il est difficile de ne pas prendre beaucoup de retard, la période est chargée et c’est une charge administrative lourde : ça prend plus de temps que prévu car de nombreuses copies ne sont pas « reconnues » par le scanner, ce qui oblige à recommencer… Ainsi, s’occuper d’un paquet prenait souvent 20 minutes contre les 2 annoncées. Un Proviseur adjoint a passé des heures (2 dizaines !!!) à scanner des copies, et des annexes … Pour réaliser un échange de copies virtuelles entre quelques collègues du même lycée ! Dans un lycée, il a quasiment fallu une semaine pour récupérer les copies d’Hist. Géo, par exemple. Pendant ce temps, la direction a été aux abonnés absents. Forcément puisque c’est elle qui s’est chargée de tout le boulot !
Et des enseignants trouvent que la correction est peu aisée, beaucoup plus longue et plus fatigante sur écran. Là où la numérisation des copies a été très difficile et longue, les profs ne les ont eues qu’une semaine après la date initialement annoncée ; du coup, le délai pour les corriger, compte tenu du fait que les correcteurs poursuivent leur enseignement, est trop court. Mais tous les profs ne sont pas contre (lire ci-dessous) !
Pour les corrections, la plupart des chefs d’établissement a refusé d’accorder du temps
Mais au moins un lycée a accordé une réunion de 2 heures sur le projet d’établissement, ce qui permettait aux correcteurs d’être déchargés, et si besoin de refaire la même opération un autre jour. Dans une équipe d’anglais, les profs ont décidé de tou·te·s prendre en charge quelques lots de correction, même sans avoir de 1ère, et un créneau de 2 h. a été banalisé pour permettre l’harmonisation. Hélas, ce travail d’équipe n’existe pas partout.
Pour certains profs, reste la sensation d’être de plus en plus isolé pour les corrections, avec un stress généré par la correction de copies numérisées et la charge de travail qui s’ajoute alors que parallèlement, il faut continuer à gérer le travail avec les autres classes.
L’organisation a mobilisé beaucoup de temps de travail de la direction.
Ces épreuves entraînent un surcroit de travail pour les personnels de direction (organisation, réorganisation pour parer aux absences, tester SANTORIN, scanner, adapter les copies des élèves bénéficiant d’un tiers-temps au format Santorin…) et ceci dans un contexte de tensions multiples et de grande fatigue.
De quoi être lessivés !
Un désenchantement presque général
En résumé, ça aurait pu être pire, mais ça fait beaucoup de situations absurdes. M. BLANQUER pourra dire que les épreuves ont eu lieu et que tout s’est bien passé mais c’est quand même…
du grand n’importe quoi.
La tension que génèrent les discussions sur le quoi faire face à tout cela, agir ou non, plus la réforme des retraites, plus la DHG rétrécie qui supprime des postes mettent vraiment à mal les collègues. Beaucoup de collègues pensent que la grève des surveillances des E3C ne servira à rien sans doute mais se demandent comment faire entendre tous les problèmes que génèrent ces E3C. Les profs et des personnels de direction souffrent de la réforme, une prof jamais arrêtée s’est mise en arrêt maladie (burn out) un mois et davantage de collègues ont été arrêtés pour des pathologies cette année.
Quelques effets positifs néanmoins
- des élèves qui travaillent plus régulièrement
- des enseignants qui disent réapprendre à des élèves des choses qu’ils n’avaient pas enseignées depuis un certain temps
- des enseignants qui travaillent plus en équipe
- un matériel de numérisation qui doit permettre d’améliorer et d’éviter des transports de copies dans toute l’académie et qui pourra, à terme, faire un gain de temps
- des correcteurs qui ont accès très vite à leurs lots de copies et sont aussi satisfaits de la dématérialisation des copies, pour le moment ils n’y voient que des avantages.
Nous sommes ravis d’apprendre que M. BLANQUER semble s’être rendu compte qu’il fallait d’urgence simplifier ce binz !
Mais ce n’est toujours pas ce que demande le Sgen-CFDT( E3C* : sortir de la crise) :
abandonner les E3C et passer à 40% de contrôle continu intégral !
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Blocage d’établissements : La tribune des équipes de direction de Paris