Le Sgen-CFDT Orléans-Tours a mené une enquête auprès de tous les personnels de l'académie, au cours de la troisième semaine de confinement. Voici l'analyse des nombreuses réponses que nous avons reçues.
Confronter les discours à la réalité
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Alors que nos conditions de travail ont fortement évolué depuis la fermeture des établissements scolaires et l’instauration du confinement,
- Alors que des injonctions contradictoires nous arrivent au rythme de la communication ministérielle, sur la façon de remplir nos missions. Voir le mythe de la continuité pédagogique dans l’édito de Michel de Peyret),
- Alors qu’on fait appel aux volontaires pour assurer « une garderie » des enfants dont les parents sont indispensables à la gestion de la crise sanitaire,
Il nous a paru essentiel de questionner tous les personnels sur la réalité de ce qu’ils vivent. De leurs réponses, nous construirons des revendications, pour tout de suite et pour plus tard…
Participation : quelques biais statistiques
Par honnêteté intellectuelle, il nous revient de dire que cette enquête ne répond pas à tous les canons scientifiques. Par exemple, la proportion d’enseignants est respectée (environ 70% des personnels) mais elle est mal répartie entre le 2nd degré (sur-représenté avec 50% de répondants / 36% des personnels de l’académie) et le 1er degré (sous-représentés avec 26% des répondants / 37% des personnels de l’académie). Les personnels de direction sont aussi un peu sur-représentés, à l’inverse des CPE, des AED et AESH. Les différences de proportions panel/réalité sont moins notables pour les personnels administratifs et techniques, pour les personnels sociaux et de santé, et pour les Psy-EN.
Le panel des répondants n’est donc pas parfaitement représentatif. Mais cette enquête a le mérite de nous donner, à un instant T, la situation vécue par les collègues.
Confinement et pressions professionnelles
Sans surprise, plus de 90% des répondants travaillent à leur domicile. La proportion s’inverse lorsqu’il s’agit de personnels de direction.
Assez inquiétant, vous êtes 13,5% à ne vous sentir soutenus par personne dans ce moment délicat, pas même par vos collègues. Si vous êtes dans ce cas, nous vous invitons à nous contacter au plus vite !
Parmi la majorité qui a répondu recevoir un soutien, celui-ci vient d’abord des collègues. Il vient aussi, dans une moindre mesure, de la hiérarchie (quel que soit le niveau où l’on se place) et des usagers (en particulier les élèves).
On note enfin le faible score de soutien attribué au gouvernement et à la société, plus largement. On l’attribuera au manque récurent de reconnaissance vis à vis du travail des fonctionnaires.
N’oublions pas le méprisant « épisode des fraises »
A 99%, vous répondez ne pas avoir subi de pression pour vous déplacer sur votre lieu de travail, que votre présence y soit nécessaire ou non.
Vous êtes 61% à estimer que la situation actuelle a engendré une charge de travail supérieure à la normale, voire une surcharge de travail, pour assurer la continuité du service public.
Il est important de noter que cette surcharge de travail est signalée quasi-exclusivement par les personnels enseignants. Cette réponse est prédominante dans le second degré (mais on rappelle ici la sur-représentation de cette catégorie dans notre enquête). Même si la conscience professionnelle est évoquée, on ne peut écarter une pression externe plus insidieuse, due à l’excès de communication de J.M. Blanquer : #ContinuitéPédagogique #NationApprenante #BrevetBac2020 !
A propos du télétravail
A 72%, vous considérez avoir choisi le télétravail, ou qu’il s’est mis en place d’un commun accord. Ce chiffre est intéressant, car dans un contexte où le télétravail s’impose à toutes et tous (ou presque), il révèle une certaine acceptation de cette réalité contrainte.
Vous êtes même 53% à trouver le télétravail intéressant et à envisager d’en refaire ponctuellement à l’avenir. Si 23% des sondés n’y trouvent pas d’intérêt, maintenant et pour plus tard, vous êtes tout de même 24% à trouver l’expérience catastrophique et à vouloir arrêter maintenant si c’était possible.
Comment jugez-vous les consignes pour votre télétravail ? | tous les répondants (100%) | Enseignants, CPE/AED et PerDir (75% des répondants) |
Claires | 22% | 14% |
Contradictoires | 16% | 23% |
Trop nombreuses | 21% | 33% |
Insuffisantes | 21% | 27% |
Adaptées à la situation | 17% | 20% |
Inadaptées à la situation | 17% | 24% |
Concernant les consignes reçues, on note une insatisfaction sensiblement plus marquée chez les personnels qui doivent assurer la « continuité pédagogique » et éducative des élèves. Les atermoiements ministériel des premiers jours sur la nature de la classe à distance (révisions / continuation du programme, évaluation ou non, etc…) y sont sans-doute pour quelque-chose.
Par ailleurs, seuls 14,4% des sondés déclarent avoir reçu une formation aux outils et aux méthodes de travail à distance. Dans bien des cas, il a fallu s’autoformer, sur le tard, durant la première semaine et le week-end la précédant. Ce qui n’empêche pas votre hiérarchie de vérifier si vous travaillez effectivement, pour 10% d’entre-vous.
La communication avec les collègues et les autres personnels est jugée facile pour 50% des répondants. Ce chiffre baisse à 30% pour la communication avec les usagers (ce qui inclut les familles et les élèves). Beaucoup plus inquiétant, 82% des enseignants déclarent rester sans nouvelle de certains élèves (Combien exactement ? Il faudrait le vérifier). Cela traduit une grande difficulté à garder le contact avec les familles qui sont les plus éloignées culturellement de l’école. La fracture numérique peut être un facteur aggravant, mais il ne faudrait pas y voir la seule cause…
Organisation matérielle
Vous êtes 83% à utiliser votre matériel informatique personnel. Vous êtes 88% à utiliser votre propre abonnement à Internet (avec, dans 19% des cas, une qualité de connexion dégradée : bas débit, coupures, zone blanche…). La loi n’oblige pas l’employeur à prendre en charge ces coûts matériels mais le télétravailleur ne devrait pas supporter tous les coûts du télétravail. En effet, l’employeur a une obligation, plus générale, de prendre en charge les frais liés à l’exercice de l’activité. Ce n’est pas le cas pour beaucoup de personnels de l’Éducation Nationale. Nous pourrions revendiquer une « prime d’équipement » dans le cadre de futures négociations salariales et indemnitaires.
Pour 22% des « télétravailleurs », cette organisation empiète sur le vie personnelle.
80% des « télétravailleurs » disposent d’une pièce isolée pour pouvoir travailler dans le calme.
42% déclarent devoir composer avec certaines contraintes familiales (école à la maison, personne dépendante…).
Enfin, vous êtes 48% à avoir expérimenté des problèmes techniques avec les outils numériques préconisés par l’institution (ENT, CNED…). Dans 5% des cas, cela représente même un facteur bloquant de votre travail. Beaucoup d’entre-vous se sont rabattus sur des solutions alternatives (Google Drive, Dischord, Whatsapp…). Mais nous vous mettons en garde sur un usage avec les élèves : des parents procéduriers pourraient vous le reprocher. En effet, même en temps de crise, il faut rester vigilant quand au respect du RGPD et si vous vous retrouviez inquiété, à l’avenir, nous vous conseillons de prendre contact avec le Sgen-CFDT Orléans-Tours.
Sur votre lieu de travail habituel
On constate, sans surprise, que les établissements et services manquent de masques, de gants et, dans une moindre mesure, de gel hydro-alcoolique. Nous continuerons à revendiquer la fourniture de matériel adéquat, notamment pour l’accueil des enfants de soignants.
Seulement 73% de ceux qui ont répondu à cette question ont coché le respect des gestes barrières. Si cela signifie qu’ils ne sont pas respectés dans 27% des lieux de travail, c’est inadmissible ! Ces gestes ne coûtent rien et sont à la portée de tous. Il en va de la responsabilité de l’institution de les appliquer et de les faire appliquer.
Les gestes barrières sont le premier rempart contre la contamination
42% des sondés déclarent que leur établissement ou école accueille des enfants de soignants et d’autres travailleurs indispensables à la gestion de crise. Nous rappelons ici que cet accueil doit rester exceptionnel, si aucune autre possibilité de garde n’est trouvée. L’encadrement de ces enfants doit se faire sur la base du volontariat. A ce propos, dans les établissements et écoles concernées, vous déclarez que des volontaires ont été trouvés, dans 95% des cas, sans que cela constitue un problème : une nouvelle preuve de la conscience professionnelle des personnels.
Analyse de vos expressions libres
Vos réponses ont généré plus de 10 pages de texte (document intégral ici) que nous nous sommes employé à résumer et à analyser. Nous vous remercions pour cette participation au débat, à la fois riche et foisonnante !
Que pensez-vous des outils numériques préconisées par l’institution ?
Les élèves sont bien sûr au centre des préoccupations (avec une majorité de réponses d’enseignants). Et c’est le plus souvent pour s’inquiéter des décrocheurs, des difficultés de connexion et matérielles qu’ils peuvent rencontrer, ou de la multitude des outils proposés.
Globalement, dans le second degré, le réflexe est d’utiliser les outils déjà connus (e-mail, ENT, Pronote…) pour ne pas ajouter plus de complexité mais surtout par manque de formation.
Vous êtes nombreux à nous dire le casse-tête des premiers jours, la saturation des outils, le temps passé devant l’écran. Et il semblerait que Pronote soit une solution (privée et payante) plus robuste que les outils gratuits préconisés par l’institution. Certains ont pu expérimenter la classe virtuelle (CNED ou autre) avec plus ou moins de satisfaction et parfois des incivilités.
Dans le premier degré, peu d’outils préexistaient et il a fallu le plus souvent improviser avec les moyens du bord.
Dans l’administration, certains outils n’étaient pas accessibles en télétravail.
Partagez votre expérience personnelle et vos réflexions, ou proposez vos astuces :
Encore une fois, les élèves sont au centre de vos préoccupations. Vous vous inquiétez de la fracture numérique (en REP et en milieu rural), de la capacité de certaines familles à accompagner leurs enfants, et finalement de perdre définitivement le contact avec les élèves les moins favorisés.
Vous nous dites aussi le caractère chronophage du télétravail, vos difficultés à partager votre temps entre l’activité professionnelle et, pour ceux qui ont des enfants, l’animation de « classe à la maison ».
Pour toute ces raisons, vous êtes nombreux à témoigner de la difficulté à mettre en place une réelle « continuité pédagogique » et vous suggérez plus de modestie dans les objectifs affichés.
L’usage répandu du matériel personnel pour télétravailler pose aussi la question du financement ou d’un dédommagement à la charge de l’employeur.
Pour finir sur une note plus positive, certains nous ont fait part de leurs découvertes et innovations qui trouveront une place dans leur dispositif pédagogique à l’avenir.
En conclusion…
La Rectrice elle-même, dans son message aux personnels le 9 avril, leur rend hommage au travail pour tout ce qu’ils font « afin de maintenir les deux formes de continuité, pédagogique et administrative, de notre institution » et souligne » la contribution majeure de l’Éducation nationale dans les processus de résilience et de maintien du lien social dont elle est un acteur essentiel. »
La crise sanitaire actuelle a bien mis en évidence, dans les difficultés techniques et le climat anxiogène ambiant, la valeur incontournable des services publics comme celui de l’Education, et les efforts qui restent à fournir pour en faire un véritable facteur d’égalité citoyenne et de promotion sociale. C’est pourquoi il ne pourra pas y avoir de « retour à la normale » sans que soient tirés tous les enseignements de cette période qui devrait durablement améliorer la perception – voire la conception même – de nos missions au service de l’intérêt général et particulièrement des populations les plus défavorisées. Ce sera un défi passionnant à relever !
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